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Artiste

VRAIMENT L’HOMME qui est largement à l’origine de ce livre n’est personne d’autre qu’Henry Miller. Oui, Croyez-le ou pas !
En Février 1978, Henry Miller a commencé à contribuer à mon magazine Stroker en m’envoyant des lettres, des essais originels, de courtes histoires …
Nous avions échangé de chaleureuses lettres, et cela allait durer jusqu’à peu de temps, deux ou trois mois, avant qu’Henry ne fasse ses adieux à ce monde terrestre, plus exactement le 7 Juin, 1980. Dans ses lettres, il s’emportait toujours sur des écrivains ou des artistes pour les recommander fortement par la suite; des auteurs ou des artistes qui sont pourtant rarement en vie ou contemporains, j’ai bien remarqué.
Jusqu’au jour où il m’écrit quelques mots frénétiques au sujet d’un nouvel et étrange écrivain originaire du Nord de l’Afrique, du Maroc, de Tanger plus exactement dont le nom est Mohammed Mrabet. Un de ses fans et amis de la ville de Salt Lake city, Pat Eddington, venait juste de lui envoyer le roman autobiographique de Mrabet, intitulé « Look and Move on ». Peu de temps après, Miller m’envoya par courriel ce petit livre ! Si simple, si direct, et si intransigeant. Naturel pour de vrais.

Peu de temps par la suite, et dans une autre épitre, Miller m’a suggéré d’écrire à Mrabet et lui demander de contribuer à mon magazine. Chose que j’ai faite d’ailleurs, et ainsi a vu le jour cette collection de lettres merveilleuses; quarante en tout ; toutes envoyées par Mohamed Mrabet, en personne, et dûment publiées en différents numéros de Stroker durant une période de sept années, de l’été 1979 jusqu’à l’automne 1986.
Des lettres ? Oui, les plus précieuses lettres que je n’ai jamais reçues de mon vivant. En trouvant une de ses lettres dans ma boite aux lettres, je me rappelle, ma journée était comblée, comme si c’était une manne qui venait de tomber du ciel. Ces véritables bijoux, en papier fin et fragile, mises dans desenveloppes d’une couleur bleu clair et d’un poids plume, sur le dos desquelles sont écrites des lettres Arabes grand format et collés des timbres colorés typiquement Marocains, commencent littéralement avec la formule « Querido
Amigo Stettner : je te salue en te tendant mes deux mains et mes trois ou quatre bras. » Oui, en lisant ces mots, je gloussais ou éprouvais de la sympathie, pleurais, soupirais, m’émerveillait, je me suffoquais par émerveillement, ou m’éclatais en gros rires. Si par hasard je lis un des contes inimitables et magiques de Mrabet, ça me donnait la chair de poule, totalement ensorcelé je devenais en d’autres mots, enchanté, captivé. C’était comme recevoir une lettre d’ailleurs, une lettre des esprits de Lewiss Caroll, Vaslav Nijinsky, Antonin, ou du dernier grand prêtre de Kamakura, tous regroupés en un.

Complètement illettré, Mohammed Mrabet était incapable de lire ou écrire, d’après ce qu’on m’a dit. Ses lettres arrivaient ou tout simplement voyaient le jour parce qu’elles étaient traduites en Anglais par Paul Bowles, le très bien connu écrivain et compositeur Américain qui vivait à Tanger (depuis 1947). Dès l’âge de onze ans, Mrabet était déjà livré à lui-même dans les rues, se débrouillant tout seul en travaillant tantôt comme aide pêcheur, tantôt comme déboucheur de toilettes, tantôt dealer de kif ou même videur dans un bordel.

Mrabet écrivait en parfaite connaissance de cause avec une très solide compréhension de la réalité, de la vie et du monde. « Amigo Stettner ; Je ne suis pas écrivain, » comme il le reconnait dans une de ses lettres, « … parce que je ne peux ni lire ni écrire. Mais sache que depuis mon enfance, j’ai toujours fréquenté des gens fantastiques et j’ai vu des choses fantastiques.» C’est à partir d’une surabondante et débordante abondance d’expériences, de rencontres, de privations et de joies qu’il écrivait. C’est pourquoi à certains moments, il écrivait avec un ton délirant et un air ravi, et il frôlait le ridicule. Et oui, c’est ainsi qu’il nous nourrissait avec ses innombrables noyaux précieux de sagesse.

Il me fait penser à Maxim Gorki (et même à François Villon ou Whitman ou Jack Kerouac), qui dans sa tendre enfance a du vagabonder, trainer et travailler un peu partout en Russie pour son apprentissage. « Les universités de la vie ». Ils se ressemblent aussi car tous les deux, malgré les expériences amères qu’ils avaient vécu, les endurances qu’ils avaient subi, ils se sont acheminés tous les deux vers un optimisme euphorique et garni : « Amigo Stettner. Tout est bien. 

Tout ce qui peut arriver à un homme dans sa vie, que se soit mauvais ou bon, il doit en faire du bien, remercier Dieu qu’il soit encore en vie. Je dis toujours que tout va à merveille. »

La rédaction des lettres a débuté avec un échange de lettres d’amour entre Héloïse et Abélard et s’est développé en un genre littéraire reconnu. Dans les pages qui suivent, on peut assurément en faire l’expérience et se rendre compte de son élévation à un énième degré ou tout simplement son fracassement en mille morceaux. Il en est ainsi car si Mrabet commence un épitre avec un ton chaleureux, amical, notez le bien, à n’importe quel moment il va passer à une longue fable, un compte folklorique, parabole, poème pastoral ou un éloge tranchant, jérémiade, un riff d’écriture surréaliste automatique et pur et puis soudainement il nous lance sur les genoux une bombe ou deux de gélignite. Par la suite, à tout moment où il lustre, irascible, en colère, ou lorsqu’il raconte un incident, une anecdote dont certains détails font état de brutalité et de cruauté, il n’hésiterait pas à en faire mention. Il accepte la vie avec ses multiples facettes; de surcroît on tombe souvent sur un ton piquant, barbelé et vrai de sa diction.

Rassasié de sérosité sanguinolante, de gueule de loup, de vie en rose, … Il a un fond de poète très très profond. C’est sans doute pour cette raison que tant de mésaventures, de trébuchements, cèdent la place aux imbroglios maritaux (‘Le clown est un poète en action,’ Henry Miller) et ceci bien que son point fort soit l’art du conte dans lequel il est le parfait maître. Si naturel pour lui comme de respirer. Si Paul Bowles n’était dans les environs pour traduire ses contes, il serait probablement en train de les raconter à une bande de copains dans le café du coin autour d’un verre de thé à la mente et une pipe à la main bourrée de kif. Ca ne fait aucun doute, Il est né avec une surdose d’imagination, heureusement pour nous d’ailleurs, et il a tout simplement besoin de la mettre en œuvre, sinon il est fichu et ruiné. Tout ce dont il a besoin dans la vie c’est de quelques oreilles patientes et attentives pour l’écouter et le laisser agiter sa baguette magique.

Il est vrai qu’il y a des moments où Mohamed se plaint, se lamente, grogne gémit, brandit sa serviette pour sécher les pleurs. Est-ce que ça fait partie de son « acte » ou alors de sa candeur ? Quoiqu’il en soit, nous sommes, comme bon nous semble, amenés à l’aimer davantage, car il se révèle à nous comme un être humain ordinaire. En même temps, nous tous, aujourd’hui, lisons les gros titres des journaux, payons nos taxes, etc. nous sommes dans ce monde extérieur à des degrés différents bon gré mal gré, coincés dans un moulin, pris au piège dans la débâcle de la modernité; ne sommes nous pas aussi débarrassés de la névrose, des phobies mesquines, des craintes ? Lorsque Mrabet arrive à exprimer tout

ceci selon son propre mode naïf, qui n’est nullement sans charme, il faut bien l’admettre, ne nous aide –t-il pas à empathiser et identifier notre univers également ?

Mais tout en lui s’oppose et s’interpose; c’est un paradoxe à mille facettes: la gamme de ses émotions s’étend presque vers l’infini. A chaque nouvelle lettre on trouve un autre germe étincelant d’une sagesse tellurique, d’intelligence et de rires. Mrabet parle à travers l’un de ses personnages, « … mon ami, l’homme est sans prix. » Oui, c’est une autre façon de dire : il n’a pas de limites ; il met à profit ses instincts, ses intuitions, ou accommode son acte habituel « d’écrire du fond du cœur » comme il le confie. Il a une précieuse, unique et inexhaustible mine de filons, certes. Et c’est pourquoi ce que Mrabet nous délivre est  toujours une veine pure, un vrais McCoy.

Ajoutons aussi qu’il n’a pas peur de la violence. Oui, décidément, une qualité venant d’ailleurs, certainement pas de l’Europe. Face à la violence, Mrabet n’a pas peur et n’a pas peur de violenter son langage. Peut être même avec ses mots, cette violence se trouve dotée d’une certaine pureté. De toute façon, il fait semblant seulement, bien conscient de ses imperfections, il sait qu’il est son propre pire ennemi. Pourtant, il en a d’autres; ceux qui ont le pouvoir, les arrogants, les académiciens, Messieurs savent tout, les bureaucrates insensibles, les gouvernements sans cœur, les politiciens rusés, « les choses qu’un homme pauvre peut faire, l’homme riche ne peut pas le faire. », comme il dit bien dans une de ses lettres, « et quoique puisse faire l’homme riche, un homme pauvre peut le faire. Nous sommes plus vivaces et plus forts, plus courageux dans notre intellect, nous les pauvres hommes. Une âme pure est la chose importante pour moi. Et personne ne sait ce qui va se passer par la suite. »

Oui, voici une voix, nouvelle et forte provenant du Nord d’Afrique et de tout le monde Arabe. Et lorsque Mrabet parle, ne le fait-il pas aussi pour ses parents et arrières parents, pour son sang, pour les autres; les millions vivant dans la pauvreté, opprimés des siècles durant ?

« Et personne ne sait ce qui va se passer par la suite. » oui si latent dans ces mots c’est la menace. Et si jamais il arrivait que les dirigeants de ce monde les lisent … Vont-ils trembler dans leurs bottes ? « Oui », je dirais.

Pourquoi ? « Mon ami, un homme n’a pas de prix. » Irving Stettner 7.2.89

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